Comment devient-on poli ? Est-ce encore important aujourd’hui d’être quelqu’un de poli ?
Assurément tous diront, oui, c’est une base pour la vie en société.
Pourtant de nos jours, dans nos sociétés individualistes, surtout dans les grandes villes on assiste à un repli sur soit tel, que la politesse semble cantonnée uniquement aux sphères privées, et encore !
Mais ce déclin n’est pas nouveau. Maupassant le déplorait déjà il y a déjà 150 ans.
« Je ne voudrais point qu’on me crût assez fou pour prétendre ressusciter cette morte : la Politesse. Les miracles ne sont plus de notre temps et, pour toujours, je le crains bien, la politesse est enterrée côte à côte avec notre esprit légendaire.
Mais je désire au moins faire l’autopsie de cette vieille urbanité française, si charmante, hélas ! et si oubliée déjà ; et pénétrer les causes secrètes, les influences mystérieuses qui ont pu faire du peuple le plus courtois du monde un des plus grossiers qui soient aujourd’hui. »
Guy de Maupassant
Mais face à cette crise, un remède se profile : la lecture ! L’apprentissage nous dit le poète.
« Les gens instruits sont bien élevés. C’est donc au livre, aux livres, à tous les livres, qu’il faudrait demander une nuance de cette ancienne courtoisie qui nous manque vraiment un peu trop. »
La politesse peut être définie comme :
Une application délicate et attentive à témoigner à tous, par notre conduite extérieure, notre estime et notre bienveillance.
Née de l’amour de l’homme pour son semblable, elle met son bonheur à faire celui d’autrui. Elle est à la fois la bonté du cœur, le tact de l’esprit, la pureté du langage, la grâce des manières.
(Mgr Dupanloup.)
Elle se lie à des vertus de race, dont une nation peut être justement fière. Toute faite de charité, de générosité et de délicatesse, elle est la gloire de notre chère nation et l’apanage du caractère français.
Cette fleur de la débonnaireté, comme l’appelle saint François de Sales, qui rend plus faciles et plus aimables les relations sociales, a toujours été en particulière estime chez les nations amies des arts et des lettres.
Plus un peuple est civilisé, plus il est poli. C’est au temps de Périclès qu’on entendait, dans les temples d’Athènes, cette belle prière :
Accordez-nous de ne rien dire que d’agréable, de ne rien faire qui ne plaise.
L’homme poli se montre bon pour tous; il évite de faire de la peine et cherche à faire plaisir. Il est digne sans hauteur, réservé sans taciturnité, gracieux, sans afféterie ; ses manières sont affables, et son langage distingué.
Celui qui est impoli manque toujours à la charité, et souvent à la justice, qui s’étend beaucoup plus loin qu’on ne le pense communément. Les hommes, dit Joubert, « ne sont justes qu’envers ceux qu’ils aiment. »
C’est généralement pour mettre ses défauts plus à l’aise qu’on s’affranchit des règles de la politesse. Le manque de civilité, dit La Bruyère, n’est pas le fait d’un seul vice, mais de plusieurs : de la paresse, de la sotte vanité, de la stupidité, de la distraction, de la jalousie et du mépris des autres.
La politesse est avant tout une science pratique ; elle s’apprend un peu dans les livres et beaucoup par la fréquentation des gens bien élevés. Elle se transmet, comme par tradition, dans la bonne société ; c’est là qu’il faut aller la chercher.
Il y a dans le maintien, les manières, le ton, le geste d’une personne polie, une expression, des détails que les meilleurs traités ne peuvent indiquer. On ne saurait donc trop recommander d’être très attentifs, toutes les fois que nous sommes en présence de personnes qui connaissent et qui pratiquent les règles du savoir-vivre.
Voici une brève frise chronologique de l’évolution historique de la politesse :
-435 Socrate rappelle à ses disciples les règles de bienséance dans les réunions où le vin et la fête les font se déliter
-44 Cicéron fait l’éloge de la civilité dans son Traité des devoirs adressé à son fils Marcus.
1180 L’art d’aimer est exposé par André le Chapelain, un clerc parisien, dans De arte honeste amandi.
1268 Le Roman de la Rose de Jean de Meung, détaille les bonnes manières de table.
1402 Le grand pédagogue italien Vergerio, tenant de l’humanisme civique, définit l’éducation des jeunes princes.
1530 Erasme publie à Bâle son fameux Traité de civilité puérile.
1610 Richelieu, irrité que les convives se curent les dents à table avec le couteau, demande à son coutelier d’arrondir leurs bouts.
1660 Invention de la clochette à sonner les valets par le marquis de Rouillas, afin de préserver l’intimité des soupers fins.
1735 La salle à manger s’impose lorsque Louis XV en crée deux à Versailles, l’une pour l’été et l’autre pour l’hiver.
1762 Jean-Jacques Rousseau, dans son Emile, ou l’éducation, recommande le tutoiement systématique en famille.
1793 Le tutoiement est imposé par le décret de la Convention. Vouvoyer est interdit, l’emploi de « monsieur » ou « madame » est remplacé par le terme « citoyen ». Ceux qui ne respectent pas ces lois encourent une peine de justice.
1830 Le bourgeois s’empare des bonnes manières en s’inspirant des Anglais. Il est de bon ton de porter le haut de forme, le smoking et les gants. On importe également le flirt, et les hommes affectent des manières de gentlemen.
1920 La garçonne apparaît, les femmes fument, se coupent les cheveux et portent pantalon. La nudité ne choque plus.
1950 La civilité traditionnelle devient trop pesante pour la génération issue du baby-boom. Mai 1968 fera table rase de la politesse.
2010 Création d’un nouveau savoir-vivre associé aux technologies de communication, tel la netiquette.
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